La polymédication est affaire courante chez les personnes âgées de plus de 65 ans, tout simplement parce que le fait de vieillir augmente le risque de voir se manifester plusieurs pathologies en même temps. Il s’agit généralement de maladies chroniques comme le sont le cancer, la démence, l’hypertension, le diabète… En conséquence, plus le nombre de maladies est important et plus le nombre de médicaments prescrits croît.
On évoque la polymédication lorsque le patient ingère sept médicaments par jour. Dans les maisons de retraite par exemple, il est courant de souligner que les résidents ingèrent quinze médicaments (en moyenne) par jour….. ! La polymédication entraîne pourtant des risques majeurs. Elle est responsable de 130 000 admissions hospitalières annuelles chez nos seniors ; de 10 000 décès annuels en moyenne et d’une augmentation substantielle de nos dépenses de santé. Ce qui motive ces hospitalisations est le mauvais usage du médicament. On sait que l’organisme vieillissant tend à moins bien éliminer certains médicaments ce qui explique qu’au fur et à mesure des prises les substances contenues s’accumulent dans l’organisme. De plus, comme l’organisme de la personne âgée est moins bien hydraté que celui d’une personne plus jeune, cela participe à augmenter la concentration du médicament dans le sang, donc de maximiser ses effets indésirables. Et, cette conjugaison de facteurs entraîne une cascade événementielle parfois létale.
Pour éviter cette issue dramatique nous rappellerons simplement QU’UNE ORDONNANCE NE SE RENOUVELLE PAS, ELLE SE REVISE !
Cette révision a trois finalités :
1- éviter le risque d’interaction médicamenteuse (par exemple, un médicament pourrait bloquer l’effet d’un autre ou au contraire augmenter son effet et le rendre toxique),
2- éviter le risque de voir se manifester certains effets secondaires (nausée, étourdissements, fatigue….),
3- éviter le risque de voir se produire des effets néfastes sur la santé (augmentation du risque de chutes, apparition de troubles cognitifs….).
La dé-prescription consiste à retirer une médication inappropriée tout en étant supervisée par un professionnel de santé dans un objectif simple : gérer la polymédication pour améliorer la santé du patient. De façon générale sont dé-prescrits les médicaments qui ne sont plus appropriés parce que le problème a été résolu, guéri. Par exemple, une déprime temporaire qui s’est manifestée dans le passé chez un patient ne nécessite peut-être plus d’être suivie aujourd’hui par un traitement antidépresseur renouvelé régulièrement. Ou bien, un médicament qui aurait été préalablement prescrit pour une insomnie occasionnelle et ordinairement utilisé sur une période courte parce qu’il n’apporte aujourd’hui plus aucun bénéfice sauf celui d’entraîner des effets indésirables. Pourquoi ne pas également dé-prescrire des médicaments dont les bénéfices vont se manifester à la suite d’une longue période, alors que l’espérance de vie du patient est plus courte ?
Pour aider le prescripteur dans cette démarche de dé-prescription, l’American Geriatrics Society a mis au point très judicieusement une liste de médicaments potentiellement inappropriés chez les seniors âgés de 65 ans et davantage en raison de leur risque élevé d’effets indésirables ou de leur inefficacité ou bien parce qu’il existe des substituts plus sûrs. Cette liste est baptisée : « Critères de Beers » et sa dernière mise à jour remonte à 2019. Parmi ces médicaments, sont ciblés :
– les anti-inflammatoires non stéroïdiens, parce qu’ils entraînent un risque de manifestation d’ulcères gastriques hémorragiques, une augmentation de la pression artérielle, l’aggravation d’une insuffisance cardiaque,
– la digoxine, parce que ses effets toxiques sont reconnus chez les personnes âgées souffrant d’insuffisance rénale,
– tous les médicaments dont la fonction est de traiter le diabète, parce qu’ils risquent d’entraîner une hypoglycémie,
– les relaxants musculaires, car ils peuvent induire un état confusionnel et majorer le risque de chutes,
– les benzodiazépines, parce qu’ils risquent de causer une confusion mentale, une majoration des risques de chutes et qu’ils sont longs à être éliminés par un organisme âgé,
– les anticholinergiques, parce qu’ils peuvent causer une confusion mentale, troubler la vision ou bien créer des problèmes urinaires,
– les anti-douleurs opioïdes, car ils peuvent majorer le risque de convulsions ou bien créer un syndrome confusionnel,
– les antipsychotiques, parce qu’ils peuvent augmenter le risque d’accident vasculaire cérébral ou de décès du patient, causer des tremblements ou entraîner un risque de chutes,
– tous les traitements ordinairement prescrits pour lutter contre les bouffées de chaleur et/ou autres symptômes liés à la ménopause, car ils augmentent le risque de cancer du sein,
– certains antihistaminiques en vente libre, car ils peuvent causer un syndrome confusionnel, un trouble de la vision, des problèmes mictionnels, une constipation, une sécheresse buccale…
Pour clore, on retiendra que la dé-prescription est tout d’abord un processus méthodique organisé. Alors on n’improvise pas, c’est-à-dire qu’on n’arrête pas n’importe quel médicament, qu’on ne l’arrête pas non plus n’importe quand ni n’importe comment !
La dé-prescription est ce processus qui :
1- doit impérativement apporter des bénéfices au patient,
2- doit faire l’objet de critères de réintroduction le cas échéant et plus précisément si un médicament pré-prescrit apporte des bénéfices en créant peu de risques ou bien s’il est réellement indispensable,
3- doit être rassurant,
4- doit faire l’objet d’une entente entre les parties impliquées, à savoir : le patient, le soignant, la famille.