Des scientifiques ont identifié plusieurs facteurs susceptibles de précipiter une démence. Parmi ceux-ci, la perte d’audition est impliquée dans 8 % des cas de démence, c’est ce que révèle, en tout cas, une analyse développée dans la revue scientifique The Lancet, par une commission d’experts, en 2020.
Selon cette analyse, menée par le psychiatre Gill Livingston, l’avancée en âge limite le renouvellement de certaines structures de l’oreille interne -partie du système auditif- expliquant l’hypoacousie.
Rappelons que l’Organisation Mondiale de la Santé estime que l’hypoacousie est considérée comme une maladie chronique lorsque le sujet n’est plus capable d’entendre les sons inférieurs à 26 décibels. Pour mémoire, le tic-tac d’une montre s’élève à 20 décibels ou un chuchotement à 30 décibels.
Si l’on considère le critère de 26 décibels tel qu’il est avancé par l’OMS, 70 % des plus de 70 ans sont malentendants et la majeure partie d’entre-elle ne s’équipe ni automatiquement, ni immédiatement de prothèses auditives, soit parce qu’elle banalise le phénomène de surdité, soit parce qu’elle n’a pas les moyens financiers d’y faire face ou encore, pour des raisons esthétiques !
Or le déclin auditif peut générer le déclin cognitif ! Une étude américaine réalisée auprès d’un échantillon de 2000 personnes âgées de 77 ans le prouve. Plus de la moitié de l’échantillon expérimental présente une perte d’audition et est testée sur le plan cognitif de manière longitudinale (c’est-à-dire le même échantillon de sujets testé, étudié, évalué pendant 6 ans). Les résultats obtenus sont bluffant : « Les personnes malentendantes voient leurs aptitudes langagières décliner 30 % plus rapidement que les personnes entendant bien et certaines fonctions cognitives, comme la mémoire de travail, l’attention et les fonctions psychomotrices décliner jusqu’à 40 % plus vite ».
Notons également que d’autres travaux ont confirmé qu’une hypoacousie de « forme légère », multiplie par 2 le risque de voir se manifester un syndrome démentiel dans les 12 ans qui suivent, que ce risque est multiplié par 3 lorsque l’hypoacousie est « modérée » et par 5 si le déficit auditif est « grave ». De plus, le risque s’accélère, puisque les personnes malentendantes développent en moyenne le syndrome 2 ans plus tôt, comparativement à leurs partenaires entendants.
Observons également -travaux coréens effectués par l’équipe de chercheurs de l’Hôpital Universitaire National de Kangwon auprès de 6520 personnes âgées- que lorsque ces dernières souffrent à la fois d’une déficience auditive ET visuelle, elles présentent 2 fois plus de risques de manifester un syndrome démentiel dans les 6 années qui suivent, comparativement à leurs homologues n’exhibant qu’un seul déficit : soit auditif, soit visuel !
Le volume cérébral -mesuré par imagerie- a également fait l’objet d’évaluations. Les études concordent au niveau de la faiblesse du volume de diverses régions cérébrales en cas de surdité.
En 2017 par exemple, une équipe de chercheurs de Rotterdam, dirigée par Stephanie Rigters, prouve que des sujets âgés malentendants présentent une perte de volume importante de la substance blanche (prolongements neuronaux) ; l’Université Médicale de Caroline du Sud, retrouve des résultats similaires auprès de 30 personnes âgées testées à deux reprises à 3 ans d’intervalle. L’imagerie par résonnance magnétique de ces sujets expérimentaux montre des ventricules cérébraux plus développés ce qui suggère une perte du volume de la substance blanche. Or, des études avaient préalablement montré le même phénomène chez les patients malades d’Alzheimer !
Fait également intéressant, si le manque de stimulations lié à une hypoacousie génère l’atrophie neuronale, Soyoung Park, chercheur, montre que le pourcentage de protéines TAU anormales augmente dans l’hippocampe -zone cérébrale très impliquée dans les processus de mémorisation- également comme cela est le cas dans le cerveau des patients Alzheimer !
Deux théories sont retenues pour tenter d’expliquer de quelle manière l’hypoacousie peut détériorer le cerveau : il s’agit de la théorie de la privation et celle de la charge cognitive.
Selon la première théorie, le cortex auditif est moins stimulé par la perte d’audition. Les informations sensorielles ne sont donc pas captées à cause de la surdité ce qui impacte négativement d’autres régions cérébrales connectées au cortex auditif et qui de ce fait ne sont pas non plus stimulées. Cette privation de stimulations génère à terme la perte du volume cérébral et la détérioration de la région temporale, dont la fonction reste étroitement liée à l’audition et au traitement du langage verbal.
La seconde théorie -de la charge cognitive- postule que l’hypoacousie mobilise davantage de ressources cognitives dans le traitement de l’information. Cette surstimulation génère à terme, la mort neuronale. Voici concrètement de quelle manière le risque de manifester un syndrome démentiel s’effectue dans ce second contexte. Kristina Ward, de la Northwestern University, fait entendre une voix accompagnée d’un bruit d’intensité variable à deux groupes expérimentaux, l’un constitué par des individus jeunes, versus. Dans le même temps, elle fait apparaître sur un écran des objets qu’il faut classer en cliquant dessus -donc, une double tâche-. Elle remarque que plus le bruit de fond est élevé et plus la seconde tâche -classer les objets en cliquant dessus- devient difficile à effectuer pour le groupe constitué de sujets âgés. Elle en conclut que « l’écoute attentive réclame beaucoup d’énergie cérébrale », ce qui explique la faiblesse des performances chez les sujets âgés qui souffrent d’une lenteur dans les vitesse et traitement d’informations à cause justement de l’avancée en âge !
Paul Delano, chercheur auprès de l’Universidad de Chile, montre dans le même temps l’existence d’une réduction du volume du cingulum -faisceau de fibres qui relie le cortex cingulaire à l’hippocampe- via l’imagerie, chez sujets âgés souffrant d’hypoacousie.
En 2018 d’autres études révèlent que la surdité liée à l’avancée en âge, génère l’altération des modules de mémoire épisodique, de travail et que la densité de substance grise -neurones- dans les régions auditives, cingulaire et de l’insula, est plus faible également ! Ces phénomènes s’expliquent par la sursécrétion de glutamate -molécule qui permet aux neurones de communiquer entre eux- et dont on sait les effets délétères sur les neurones lorsque cette sécrétion est anormale !
D’autres travaux mettent en avant l’hypothèse que la surdité mène à l’évitement de contacts sociaux par crainte de devoir faire répéter, gêner…, or, l’isolement social a un impact négatif sur la cognition et sur l’humeur.
Bref, l’ensemble de ces études amène Gill Livingston mais aussi la commission d’experts qu’il dirige, à opter de manière préventive pour le port de prothèses auditives afin de préserver la cognition !